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Droit et ethique. role du psychiatre dans la prophylaxie criminelle



L'auteur de ces lignes n'est ni psychiatre, ni psychologue, mais chercheuse en recherche fondamentale et enseignante en criminologie, de formation juridique et philosophique, ancienne praticienne de l'investigation criminelle. Ce texte est donc un témoignage objectif issu de quatre décennies d'études théoriques et empiriques du fait criminel, cristallisées dans de nombreuses publications en France et à l'étranger.

Certains confrères considèrent la criminologie comme une annexe du droit ou comme un reflet juridique de la sociologie, sans domaine, méthodologie ou éthique spécifiques. Nous avons toujours essayé de prouver le contraire, la situant en tant que discipline indépendante et cherchant l'équilibre de bon sens et scientifiquement étayé, entre le ''tout répressif' et le fatalisme faussement droit-de-l'hommiste.



Nos arguments ont souvent trouvé leurs sources dans les écrits des philosophes et des ''médecins de l'ame' attachés à l'étude de la criminalité, d'où notre conviction inébranlable du caractère transdisciplinaire de la criminologie. Cette discipline, tout en possédant une épistémologie propre et une méthodologie caractéristique, se nourrit des réflexions et des constats mozaïcaux d'autres disciplines dont, en premier lieu, la psychiatrie. La contribution des chercheurs issus des autres branches des sciences humaines ou des sciences 'dures' s'y intègre, apportant au criminologue des connaissances complémentaires précieuses (psychiatrie, psychologie, médecine légale, sciences légales, dont la chimie, la biologie, l'odontologie, l'entomologie, l'endocrinologie, appliquées au fait criminel, ainsi que les sciences et techniques de la criminalistique. etc.).

Nous intrigue le fait que, si l'apport des laboratoires scientifiques et du médecin légiste est parfaitement intégré dans la pratique de l'investigation criminelle (ce qui est totalement justifié) ainsi que dans l'imagerie populaire nourrie d'ouvres de fiction, celui des psychiatres est encore aujourd'hui dosé de manière parcimonieuse et soumis aux questionnements.

Dans les téléfilms largement regardés comme Éloïse Rome (français). Morse ou Taggart (anglais). Commissaire Léa (allemand). Brigade des mers ou Fréquence crime (australiens), etc., il est rare d'échapper à la visite à la morgue et aux explications des sciences légales. Le public téléspectateur a intégré l'utilité sociale de ces disciplines et les considère comme éléments indispensables de l'enquête criminologique, ce qui n'est que justice.

Mais le psychiatre, lui, apparait rarement dans la trame de l'histoire en tant qu'aide à l'enquête. Il est présent lors des reportages concernant la pédopsychiatrie ou des programmes du genre 'reality show' comme Loft story ou Ça se discute, etc., où il fait des interventions brèves et forcément superficielles. Dans les films cinématographiques ou télévisuels, il est parfois présenté comme un manipulateur peu rassurant. Quant aux 'dons parapsychologiques' du 'profileur' imposés par un téléfilm comme Profiler, il en sera question plus loin.

Or, dans un monde où les médias dominent les mentalités d'un grand nombre de gens, cela fait du tort à l'image scientifique des psychiatres et les éloigne du vécu quotidien de ceux qui en auraient vraiment besoin, pour eux-mêmes ou pour des proches.

Dans la réalité, le psychiatre est encore majoritairement cantonné aux rapports d'expertise présentés dans les prétoires de justice, aux participations à certaines enquêtes pénales et, à doses homéopathiques, aux prises en charge des volontaires détenus en milieu pénitentiaire. L'injonction de traitement psychiatrique après libération ne semble pas encore tout à fait opérante, par manque de suivi effectivement contrôlable.

Cela nous semble insuffisant dans ce monde où le stress, les angoisses de toutes sortes et des comportements parfois irrationnels aboutissent aux agressions interpersonnelles qui illustrent les rubriques des faits divers de la presse audiovisuelle. Les lecteurs et les télé- spectateurs se demandent, outrés: 'Comment ont-ils (les psychiatres qui conseillent les juges) pu laisser en liberté un individu si perturbé et si dangereux?' Sans parler des commentaires journalistiques sur les prestations de certains experts qui ne sont peut-être pas toujours de nature à renforcer la confiance du public à l'égard de ce travail. C'est dommageable pour la société tout entière, qui mériterait une information plus affinée sur les compétences, l'aire légale d'intervention de ces spécialistes, le temps qu'ils impartissent à l'expertise, les moyens à leur disposition, etc.

Le ''docteur de l'ame' devrait être sollicité et intégré à une participation plus active au sein de la société, dans beaucoup plus de domaines touchant la criminologie et, surtout, en amont d'événements parfois presque prévisibles. Le domaine de la prophylaxie criminelle n'est peut-être pas encore suffisamment exploité. Or, des actes médicaux préventifs pourraient probablement réduire le nombre des déclenchements de drames intrafamiliaux et interpersonnels, à condition de connaitre les problèmes à temps et d'avoir les moyens d'agir. Nous parlons du psychiatre, mais cette dénomination englobe également les connaissances psychologiques, car le travail est plus médiatisé sous ce vocable.

Dans ce bref essai, nous esquisserons quatre domaines criminogènes dans lesquels la collaboration soutenue entre le psychiatre et le criminologue pourrait apporter des résultats prophylactiques positifs, à condition que cette collaboration soit renforcée par la contribution des structures dont les membres ont la charge de connaitre, d'évaluer et de signaler des cas pour lesquels l'intervention transdisciplinaire serait en mesure d'améliorer les données factologiques:

1. le décodage des productions de l'émetteur (auteur, réalisateur de fictions artistiques, journaliste) pour certains récepteurs, peu habitués à comprendre le langage des valeurs esthétiques exprimées par une symbolique parfois absconse ou ambiguë, et qui limitent leur interprétation aux faits bruts, tels qu'ils leur apparaissent à première vue;

2. la souffrance maladroitement, mais clairement, exprimée par des enfants et des adolescents excessivement et régulièrement violents;

3. l'expertise exhaustive transdisciplinaire en milieu carcéral;

4. le ''profilage' criminologique, que nous appelons 'analyse de situations et d'actes criminels'.


Les failles du décodage

La liberté d'expression artistique est non négociable en tant que telle. Toute idée de censure nous semble odieuse, d'autant plus que nous l'avons subie dans notre jeunesse, dans un pays anciennement totalitaire (la Roumanie). Nous nous sommes plusieurs fois exprimés sur l'impact des fictions médiatiques ayant pour objet la criminalité, surtout juvénile, mais ce que nous souhaitons préciser ici, ce sont les 'pannes' qui existent dans le circuit du décodage.

Il est indiscutable que des ouvres de fiction ou des scènes de violence montrées au cours de certains reportages sur le vif sèment le trouble dans les esprits de récepteurs peu habitués à décoder la part de la liberté artistique à la recherche de l'émotion esthétique et celle de la modélisation des actes violents, avec mode d'emploi à la clé. Le fait que l'être humain soit sensible aux messages qui entrent dans son champ psychologique et qui pourraient changer son comportement, selon sa propre manière de les accepter, est évoqué par Jean-Noël Kapferer (1), qui écrit sur 'la façon dont le récepteur d'un message soumet celui-ci à un certain nombre de manipulations mentales, dont le résultat est le changement ou le non-changement d'attitude'. Selon lui, 'nous recevons en permanence des communications destinées à nous influencer (), la persuasion est potentiellement partout'. Sa recherche porte donc sur 'l'explication scientifique du mode d'influence des médias et des communications publicitaires sur les comportements'. Lisant Piaget, le criminologue a appris que l'évolution intellectuelle de l'être humain, depuis son enfance, rencontre des limites quant à la capacité de traiter les informations et de les intégrer. Par conséquent, tous les spectateurs qui regardent un même film policier ou d'horreur, par exemple, n'intègrent pas la même chose. Pour les uns, c'est un moment de détente à prendre avec détachement ou humour, pour d'autres, plus vulnérables, plus fragiles, c'est un sujet d'angoisse ou bien un 'modèle' fascinant, l'image d'un assassin perçu comme un être fort, qui 'fait peur à la ville' et se joue longtemps des policiers. Donc, valorisant! C'est le phénomène de la perception sélective. Elle varie selon le niveau de connaissances, l'histoire personnelle de l'individu et de ses prédispositions motivationnelles ou sensorielles. Tout cela crée un contexte de réceptivité personnelle.

Des conséquences dramatiques de ce mode d'intégration ont endeuillé des familles lors des tueries dans les collèges et lycées nord-américains ou en France, où des fictions comme Scream, Massacre à la tronçonneuse, Copycat et d'autres ont eu des suites tragiques, avec imitation des 'modus operandi' et des tenues 'gothiques' des assassins, donnant lieu à des crimes commis par des personnes jeunes ou moins jeunes, mal dans leur peau, à la recherche d'une identité qui leur échappe ou qui leur semble trop fade.



Le jeune 'tueur du Zoo de Londres', qui a assassiné plusieurs inconnus, a précisé sa motivation: exister aux yeux des autres. 'Quand on passe sa vie sans être reconnu, c'est comme si on n'avait pas existé', disait-il lors de son procès. N'ayant pas la capacité d'entrevoir l'horizon d'un autre type de reconnaissance possible, il a choisi le crime multiple pour 'passer à la télévision' et faire la une des journaux.

On s'interroge: personne autour de lui qui ait décelé ce mal de vivre? Personne qui n'ait pensé à le conduire dans un cabinet où le spécialiste aurait peut-être réussi à lui ouvrir d'autres perspectives?  Pourrions-nous oublier la réponse prononcée avec une sorte de fierté par un enfant de moins de douze ans plusieurs fois arrêté pour des vols de plus en plus hardis et des rackets violents, et auquel nous avons demandé sa motivation, sachant qu'il est issu d'une famille sans difficultés matérielles: 'Je veux devenir chef de gang et tueur en série comme à la télé!' Ses parents n'ont-ils rien remarqué? Étaient-ils trop occupés à gagner l'argent nécessaire à son confort? Les méandres de l'amour parental, indiscutable dans ce cas, ne peuvent-ils pas conduire parfois au désastre par manque de dialogue? Cet enfant était certainement aimé, mais de manière insuffisante pour son orgueil qui exigeait l'admiration. Si, lors d'une de ses premières rencontres avec la force publique, quelqu'un avait pensé à le présenter au ''psy', il aurait peut-être cessé ses méfaits à leur début. Nous avons insisté pour le conduire chez un pédopsychiatre et, selon des informations récentes, celui-ci fait du bon travail, en essayant de corriger une réception mal intégrée.

Le récepteur est seul face au message. Il l'interprète de manière personnelle, selon la façon dont il l'a perçu. L'immense majorité des récepteurs restent ancrés dans leurs visions du monde, forgées par l'éducation qui les a modelés. Quelques personnes fragiles tombent sous le 'charme' maléfique du héros de fiction qui bafoue l'ordre conventionnel et se permet de s'en moquer. Le personnage presque mythique de Hannibal Lecter du Silence des agneaux et de Hannibal a beaucoup impressionné des personnes en quête de valorisation à tout prix, surtout sa seconde version, où il bénéficie d'un traitement plutôt sympathique.

L'opposition manichéenne entre le Bon (Zorro sur son cheval blanc) et le Méchant, considérée comme étant artistiquement et philosophiquement trop simpliste, s'est émoussée. Elle se transforme parfois en une sorte d'analyse psychologisante du criminel, ancienne victime de sévices ou de souffrances, sans aucune nuance d'opprobre. Cela sort du schéma linéaire, avec des traits qui l'humanisent: passé douloureux, victimisation ancienne, fantasme obsessionnel, etc. Si, en plus, il est doté d'une intelligence aiguë, de courage physique et d'humour (comme Hannibal Lecter), alors il réussit à susciter une fascination à risques criminogènes.

Nombre d'assassins (Landru, Ted Bundy, et tant d'autres, jusqu'à nos tueurs en série français actuels) ont bénéficié et bénéficient encore de sympathie, recevant en prison des colis de friandises et des lettres d'amour et d'encouragement. Nous sommes attentifs aux explications des réalisateurs des ouvres de fiction. Ils font parfois appel à la responsabilité personnelle du récepteur, considéré a priori comme un adulte, maitre de lui-même. Le réalisateur du film français très controversé (car contenant des scènes de grande cruauté) Irréversible répond au journaliste E. Frois (Le Figaro, 24 mai 2002) que son intention était de 'jouer avec la vie' et que le code théatral des représentations des agressions cruelles et violentes 'est censé protéger le spectateur qui doit se dire que nous sommes au cinéma'. Évidemment, ce serait idéal, mais c'est utopique. La preuve en est apportée par tous les crimes commis en copiant les images médiatiques.

Certes, les failles apparaissent chez une petite minorité, car la majorité des spectateurs reçoit le message de manière adulte et responsable. Mais cela devrait-il occulter les dangers de la solitude psychique des personnes fragiles? La question qui se pose est donc celle de savoir quand sommes-nous en présence d'une compréhension claire. Selon Kapferer: 'Il y a compréhension quand il y a correspondance entre le sens du message attribué par la source et celui attribué par l'audience'. Dans les cas qui nous préoccupent, il n'y a pas correspondance. À qui la faute? Comment devrait réagir la société soucieuse de prévenir les dérives graves? Beaucoup de réponses ont été données, de Marchall Mc Luhan (2), en passant par Alain Minc (3) et Gilles Lipovetski (4), jusqu'à René Huyghe (5), de l'Académie française ou encore Véronique Campoin-Vincent (6) et son interview par Guillemette de Sarigné dans Madame Figaro du 7 septembre 2002.

Le mot de conclusion sur cette question est probablement celui de cette dernière: 'le problème c'est qu'à trop raconter, on peut donner à certains l'envie de les expérimenter, surtout quand des ouvres de fiction, littéraires ou cinématographiques, exploitent ces thèmes. Chez les Anglo-Saxons, le rayon True crime occupe près de la moitié des librairies'. C'est un simple constat qui révèle un sujet de préoccupation criminologique.

Il n'y a que la collaboration étroite criminologue-psychiatre qui pourrait, en intervenant à temps, en amont des drames, donner un peu de bon sens à l'équilibre raisonnable entre l'émetteur et le récepteur défaillant. Encore faut-il les alerter à temps et leur donner les moyens d'action adéquats. Il y va de la sérénité (nous évitons le mot sécurité) de la société tout entière.


Souffrance maladroitement exprimée

Comment expliquer efficacement aux parents et aux éducateurs que la culture française du guignol sympathique, qui récolte les cris d'encouragement et de protection solidaire des enfants pour asséner des coups de baton au gendarme 'méchant', ne représente qu'une fiction qui n'est pas à transposer telle quelle au cours de sa vie d'adolescent et d'adulte?

Ils le savent certainement, mais ne trouvent pas toujours les mots pour le dire. Dans les cas extrêmes des jeunes qui en sont restés à ce stade et pratiquent la violence récurrente contre les représentants de l'autorité en général (policiers, gendarmes, pompiers, médecins, infirmiers etc.), pourquoi ne pas consulter ceux qui savent comment essayer de rétablir l'équilibre? Ceux qui aident à faire la part des choses?

Si l'enfant ou l'adolescent, noyé dans le marasme des manques de toutes sortes (affectifs, de respectabilité ou de dignité élémentaires, de confiance, d'identité, d'intégration intellectuelle, etc.) ne trouve pas d'autres solutions à ses souffrances morales, matérielles, éthiques, il a tendance à se retourner, sans motif réel, contre ceux qui représentent l'autorité, vue comme un pouvoir abusif écrasant. Il devient violent contre tous ceux qui ont l'air d'aller mieux que lui-même, d'avoir un but, de savoir servir à quelque chose, de représenter un monde 'organisé', ou tout simplement contre autrui, qui représente la société qu'il abhorre. Car lui-même ne sait que nier et vouloir détruire, faute de repères clairs (ce n'est qu'un constat criminologique, probablement sans aucune valeur psychiatrique). Il ne s'agirait pas là d'une révolte contre quelque chose de précis, mais contre ce qui semble organisé, ordonné, structuré, socialement réglé. C'est donc bien plus que cela. L'enfant ou l'adolescent lui-même ne trouverait pas les mots pour définir sa révolte. C'est aux psychiatres de conclure et d'essayer de l'aider là où les parents et les éducateurs professionnels échouent.

Construire ou reconstruire une personnalité présente, dans l'acception philosophique, 'dans le monde', nécessite parfois l'intervention des spécialistes et le plus tôt est souvent le mieux.

Mais, dans certains milieux, amener son enfant 'bizarre' au 'psy' semble dégradant. 'Il n'est pas fou' arguent les parents. Bien sûr que non (sauf cas rares), et il ne s'agit point des enfants quelque peu turbulents qui tirent la queue d'un chat, qui maltraitent les mouches ou tapent leurs petits camarades de maternelle pour s'emparer d'un jouet. Une certaine agressivité semble constructrice de la personnalité. Mais quand cet enfant maltraite régulièrement, violemment, et avec un évident plaisir des animaux ou des enfants plus petits que lui-même ou détruit rageusement et souvent des objets appartenant à autrui, alors l'aide du psychiatre s'avère indispensable, sans, bien sûr, parler de maladie mentale.



Si les parents de Jeffrey Dahmer, tueur en série appelé 'le monstre de Millwaukee' avaient été plus attentifs lors de sa préadolescence, à ses 'dissections' sur des animaux vivants, dans la cave de la maison aménagée en 'laboratoire' et si sa grand-mère, venue l'appeler pour le déjeuner, avait mieux regardé le grand animal disséqué par son petit-fils, dont elle a parlé plus tard au procès, et qui n'était autre que sa première victime humaine, alors de nombreuses victimes auraient pu, peut-être, être sauvées grace à une intervention des spécialistes, en amont de sa série de crimes.

Ted Bundy, l'un des plus tristement célèbres sérial killer (tueur à comportement systémique), est déclaré, à sa naissance, en tant que fils de ses grands-parents et frère de sa mère célibataire (honte familiale). Il est atterré en apprenant la vérité à l'age de l'adolescence et se sent frustré de l'amour véritablement maternel, malgré la gentillesse de sa famille. De plus, sa fiancée blonde, coiffée avec une raie au milieu, située plus haut sur une échelle sociale, le rejette peu avant le mariage, sur les conseils d'un père snob. La série des victimes, filles blondes, coiffées avec une raie, violées et atrocement mutilées, suit. Évidemment, nous refusons toute explication justificative de ses horribles crimes, mais si sa famille avait eu le réflexe de le confier à un spécialiste pour réduire sa déception filiale et s'il avait choisi de revoir ce médecin plus tard, lors de sa déception sentimentale, aurions-nous eu à déplorer un si grand nombre de victimes?

Edmund Kemper, le co-ed killer, autre tueur en série mythique, abandonné par son père encore bébé, et contraint par sa mère, quand il était adolescent, à dormir dans un espace aménagé dans la cave afin qu'il ne harcèle pas sexuellement ses sours, tue, encore préadolescent, ses grands-parents lors des vacances 'pour voir ce que cela fait'. Son occupation favorite était de tirer à la carabine sur les animaux de la ferme. Après avoir purgé des années de rééducation en milieu fermé, il est libéré à 21 ans et astreint à un suivi psychiatrique auprès d'un professionnel prestigieux. Patient apparemment discipliné, il est présent aux rendez-vous et convaincant dans son comportement, au point que ce professionnel apprécié, après quelque temps, lui signe un certificat de disparition de tout danger envers autrui ou lui-même. Quel contrôle pouvait-il avoir sur le fait qu'Ed n'ait jamais pris les médicaments prescrits? Or, le jour de ce dernier rendez-vous libérateur, il avait la tête coupée de sa victime la plus récente dans le coffre de sa voiture garée devant le cabinet médical. A-t-on dit à ce psychiatre que son patient avait été fortement contrarié par le refus de sa mère (secrétaire dans un collège huppé de filles) qu'il vint la chercher en fin de journée sous le prétexte qu'il n'avait pas à regarder ces filles 'trop bien pour lui' ? Depuis, il tuait des jeunes collégiennes 'de bonne famille' ressemblant à celles qui fréquentaient l'école où travaillait sa mère. Lors de ses aveux, il précise que ce qu'il désirait, ce n'était pas principalement le viol (parfois omis), mais surtout le plaisir d'exercer son pouvoir absolu de vie et de mort, pour les détruire.

Que voulait-il détruire? Les victimes qu'il ne connaissait pas quelques minutes avant, ou l'image d'un interdit maternel abusif et méprisant? Certains aspects de ce cas échappent au ressort du criminologue, pour lequel il s'agit d'un assassin parfaitement condamnable, sur preuves concordantes et aveux circonstanciés. Le psychiatre, en revanche, pourrait y trouver un sujet de réflexion et une information à stocker dans ses archives de recherche fondamentale. Ce criminel odieux était jadis un enfant malheureux. Ce n'est pas, bien entendu, une excuse, car combien d'enfants malheureux deviennent des citoyens admirables? Surtout si l'on tient compte de la notion de 'résilience' du Dr. Boris Cyrulnik. Tout de même, aucun service social (pourtant intervenant) n'a-t-il donc décelé l'occasion de collaborer avec le psychiatre afin de lui confier les failles criminogènes de son vécu, en dehors du seul fait doublement criminel de l'assassinat de ses grands-parents? Sa motivation avouée; 'pour voir ce que cela fait de tuer grand-mère' n'était-elle pas liée à d'autres événements antérieurs de sa vie, qui auraient pu être examinés dans le contexte de sa vie d'adulte, de sa relation d'amour-haine avec sa mère alcoolique, qu'il finira par violer et tuer, en jetant le larynx à la poubelle (le larynx d'où sortait la voix méprisante)?

Aurait-il été possible de préserver la vie de ses victimes en le connaissant mieux, à temps? C'est l'un des aspects de notre plaidoyer pour la prophylaxie criminelle transdisciplinaire.


L'expertise conjointe en milieu carcéral

Lors d'une expertise concernant un pédophile détenu, ancien récidiviste du vol, le criminologue commis en milieu carcéral (dans un pays étranger) réussit à réunir tous les anciens dossiers le concernant et constate, dans l'un d'entre eux, l'existence d'un rapport psychiatrique rédigé lors d'un procès où il n'était mis en cause que pour vols, mais où le psychiatre a pris soin de noter l'observation des tendances pédophiles latentes.

Cette observation, qui s'est par la suite avérée pertinente, fut négligée à l'époque et considérée comme sans rapport réel avec le dossier portant uniquement sur des actes de soustraction frauduleuse, puis oubliée. L'individu fut alors condamné et libéré après exécution de la peine infligée pour vol. Peu de temps après, il viola et tua un garçonnet.

Évidemment, dans le respect des procédures en vigueur, il n'est pas question de critiquer qui que ce soit, car un dossier concernant des vols ne traite pas de présumées tendances pédophiles. Mais si, par un contact professionnel transdisciplinaire soutenu, l'observation 'marginale' au dossier en cours de ce psychiatre avait pu retenir l'attention des intervenants en milieu carcéral du temps de l'incarcération pour vols, afin de s'en préoccuper en amont de manière prophylactique, alors, peut-être, ce petit garçon aurait eu la vie sauve. Il nous semble donc que, à chaque contact en milieu carcéral des récidivistes violents et des cas 'lourds' d'escalade dans la gravité des faits, en gardant tout le respect dû à la présomption d'innocence, à l'autorité de la chose jugée et au bénéfice de l'oubli de la prescription ou de l'amnistie, quelqu'un devrait se pencher sur tous les dossiers antérieurs concernant la personne, sans bien sûr évoquer publiquement les rapports d'expertise, afin de piocher des détails qui seraient révélateurs et qui pourraient contribuer à comprendre le comportement considéré comme perturbé. Ce serait aider le récidiviste lui-même et, peut-être, préserver les vies d'éventuelles futures victimes.

Cette démarche, nous la voyons comme une collaboration confiante, discrète et conjointe des intervenants en milieu carcéral, qui ne devrait en aucun cas nuire à la personne étudiée, ni du point de vue judiciaire, ni du point de vue moral, ou mettre en cause sa dignité. Encore faudrait-il avoir accès aux dossiers et trouver la méthodologie respectueuse des droits de chacun.

La prophylaxie est à ce prix!


Le ''profilage' en criminologie

Imaginer d'après les pièces du dossier le 'profil' de l'assassin recherché est un travail d'une grande subtilité qui relève de l'analyse de situations et d'actes criminels. Celle-ci ne pourrait devenir efficace sans une collaboration entre l'enquêteur pénal (criminologue) et le psychiatre-psychologue, élargie à tous les intervenants scientifiques et techniques penchés sur les preuves matérielles et les faisceaux d'indices concordants.

L'Amérique du Nord (États-Unis et Canada) et certains pays européens, surtout nordiques, pratiquent cette méthode depuis des années. En France, c'est une innovation apportée récemment au sein de la Gendarmerie et de la Police nationales. Des équipes sont constituées, avec des personnes formées ou en cours de formation, autant à la discipline criminologique de l'enquête pénale qu'à celle des connaissances psychiatriques et psychologiques.



Il serait souhaitable d'éviter les interférences, si bien intentionnées soient-elles, des 'profileurs' autoproclamés après quelques heures de formation théorique. L'expérience démontre que les réussites n'interviennent que par le travail de 'profileurs' qui maitrisent l'analyse psychologique-psychiatrique, greffée sur une intégration au milieu et à la déontologie de l'enquête pénale.

Qu'est-ce que cette analyse? Quel peut être son apport à l'identification du coupable et quelles sont ses limites? Le travail risque d'être mal compris, à cause de l'imagerie dévoyée présentée par les médias.

Depuis quelque temps, le tueur en série (serial killer), et le 'profileur' occupent un espace important dans les fictions médiatiques. Si le 'monstre' tueur est effrayant et exerce une fascination morbide, le 'profileur' semble se dresser, dans le monde médiatique, comme son adversaire 'à la vie à la mort'. La sur-médiatisation s'éloigne de la réalité.

Les hommes et les femmes (la jolie blonde de Profiler) sont présentés comme des détenteurs de pouvoirs parapsychologiques, avec des flashs de visions de voyance ou des capacités sensorielles troublantes, des intuitions extralucides. Nous n'osons entrer dans un débat délicat, dont nous ignorons la portée, mais nous pouvons affirmer avec certitude que ce n'est pas le cas de nos analystes, du moins ceux qui sont officiellement commis et qui ne détiennent aucun pouvoir parapsychologique. Au contraire, leur travail repose sur des données rationnelles, fondées sur les pièces du dossier, complétées par les connaissances de psychiatrie et de psychologie qui échappent au criminologue pénaliste. Les cas les plus connus de réussite apte à aider l'enquête sont le résultat d'une collaboration étroite, dans laquelle la transdisciplinarité a pleinement joué. Le très célèbre 'profileur' Dr Brussels était un psychiatre au service des pénalistes. Les profileurs nord-américains sont des policiers ayant des connaissances psychologiques solides.

Que fait l'analyste 'profileur'? En se fondant sur les preuves, les traces et les indices matériels, il tente d'entrer dans la 'tête' du criminel, de comprendre quelle sorte d'individu a pu procéder de cette façon et pourquoi. Son don de l'observation et son intuition sont essentiels. Voici deux exemples tirés de l'ouvrage de John Douglas et Mark Olshaker (7). Une jeune femme est retrouvée noyée dans sa cuisine, la tête dans un seau d'eau, avec des traces de strangulation qui n'ont pas causé la mort. Le criminologue enquêteur constate que le canapé de la salle de séjour est mouillé. L'enquête arrive à la constatation qu'elle a été soumise à une tentative de viol sur le canapé, qu'elle se serait évanouie sous l'agression de la strangulation, que l'agresseur paniqué, qui ne voulait pas la tuer, a essayé de la réanimer en versant de l'eau sur son corps encore sur le canapé, puis la croyant morte, a procédé à la mise en scène du corps déplacé dans la cuisine, la tête immergée dans le seau d'eau. Or, elle n'était qu'évanouie, la mort est survenue par noyade.

L'analyse criminologique est parfaite, mais il faut encore identifier l'auteur. Des personnes liées à la victime produisent des alibis indiscutables. Le cambriolage ne semble pas réaliste. L'audition des voisins n'apporte pas d'encouragement, jusqu'à ce qu'un 'profileur' intervienne et trouve, parmi les témoins auditionnés et mis 'hors jeu', un homme qui était en visite chez un voisin de la victime et qui était un des anciens camarades de lycée de celle-ci. Après l'événement, rentré chez lui, il avait subitement changé de style de vie, de coiffure, de look, d'habitudes. Étudié, interrogé, il finit par avouer que, étant venu donner un coup de main à l'emménagement de son ancienne camarade rencontrée par hasard, il a essayé de la violer sur le canapé, lors d'une pause café. Face à la résistance acharnée de la victime, il a procédé exactement comme l'avait établi l'enquête pénale.

Une jeune mère célibataire annonce la disparition de son périt enfant. Elle raconte que, pendant qu'elle se trouvait dans les toilettes d'une résidence donnant sur le hall d'entrée, son fils jouait à l'intérieur du hall. Or, à sa sortie, l'enfant n'était plus là. Elle l'a appelé, cherché dans la rue, sans résultat. La mère, éplorée, contacte la police pour signaler le 'kidnapping'. Elle utilise, dès le début, l'hypothèse de ravisseurs d'enfants qui auraient sévi, sans envisager d'autres possibilités. Quelques jours plus tard, elle porte à la police un gant de l'enfant, reçu par la poste sans aucun message d'accompagnement.

L'analyste Gregg McCrary, du FBI, trouve bizarre l'envoi de ce gant, car les petits enfants sont kidnappés soit par des personnes en mal d'enfant (et ils ne contactent pas les parents), soit par des réseaux mafieux (idem), ou encore par des ravisseurs qui demandent une rançon (ce qui n'a pas été le cas). Suivant cette piste ouverte par un connaisseur de l'ame humaine, les enquêteurs obtiennent les aveux de la mère, qui a tué et enterré son enfant, puis s'est adressée à elle-même un gant par la poste. Motivation ? Refaire sa vie avec un homme qui n'acceptait pas la présence de l'enfant.

Les analystes transdisciplinaires, chacun dans leur spécialité, partent des faits et actes réels, essayant d'imaginer, de 'reconstituer' en quelque sorte, l'image de l'auteur. Il ne s'agit pas d'un portrait robot avec nom et adresse à la clé, mais d'une description typologique pouvant ouvrir une piste exploitable. Dans un cas personnellement connu, un agresseur pédophile en cours d'enquête pénale pour viol avec violence est soupçonné pour d'autres crimes commis des années auparavant (viols, sévices, meurtres).

Il nie, et les faits sont trop lointains pour aboutir à des preuves pertinentes. Alors, l'enquêteur change de tactique et, au lieu d'insister pour obtenir l'aveu, il se souvient d'un cours de criminologie où il avait été dit que les tueurs en série sont souvent narcissiques. Par conséquent, il dit au suspect que, finalement, il ne croit plus à sa culpabilité dans les crimes du passé, car les actes ont été commis avec une intelligence et un savoir-faire dont il ne le croit pas capable. Blessé dans son orgueil, le suspect avoue et conduit les enquêteurs sur les lieux où il avait enterré les petits corps de ses anciennes victimes. Dans ce cas, la criminologie, nourrie par des informations psychiatriques et psychologiques, a pu contribuer à l'aboutissement d'une enquête pénale.

En conclusion à ces quelques réflexions, il nous semble évident que la société ne pourra pas se dispenser d'un débat réunissant plusieurs disciplines engagées dans l'étude des faits criminels (pénalistes, criminologues, psychiatres, psychologues, sociologues, journalistes, artistes, etc.) afin d'établir un protocole déontologique de collaboration, dans le plus parfait respect de la liberté de parole et de création. Lors de ces débats, il serait peut-être utile de mieux ancrer dans la mentalité actuelle de nos contemporains le rôle prophylactique du psychiatre dans diverses situations de la vie des personnes, et, surtout, dans sa collaboration avec le criminologue.


Références

L Kapferer JN. Les chemins de la persuasion. Paris: Dunod-Bordas, 1990.

2. Me Luhan M. Understanding Media. New York: Me Graw Hill Book Company, 1964.

3. Mine A. Le Média choc. Paris: Grasset, 1993.

4. Lipovetski G. L'empire de l'éphémère. Paris: Gallimard (NRF), 1987.

5. Huyghe R. Les puissances de l'image. Paris: Flammarion, 1965.

6. Campoin-Vincent V, en collaboration avec Renard JE. De source sûre, nouvelles rumeurs d'aujourd'hui. Paris: Payot, 2002.

7. Douglas J, Olshaker M. Agent spécial du FBI. Édition du Rocher, 1995.